Stratégie nationale bas carbone (SNBC), décret tertiaire : des objectifs ambitieux, … mais à quel prix pour les conditions de travail ?
La SNBC constitue la feuille de route de la France pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Dans ce cadre, le décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019, dit « décret tertiaire », impose aux bâtiments du secteur tertiaire, y compris les bâtiments publics, des objectifs progressifs de réduction de la consommation d’énergie finale par rapport à une année de référence :
- ↘ 40 % d’ici 2030
- ↘ 50 % d’ici 2040
- ↘ 60 % d’ici 2050
L’État se doit d’être exemplaire dans cette transition. C’est pourquoi, depuis quelques mois, l’administration centrale a recruté un « manager énergie » chargé d’établir un état des lieux, de définir une stratégie énergétique et de structurer les actions visant à optimiser les consommations des bâtiments administratifs.
Pour la CFDT, la réflexion est intéressante, les objectifs sont ambitieux et le manager énergie ne sera pas un magicien…
Voyons maintenant comment tout cela se concrétise …
Etat des lieux de la consommation énergétique de l’administration centrale
Les figures ci-dessous mettent en évidence un pic de consommation énergétique en 2024 à 10 666 MWh. Ce pic résulte d’un recueil de données plus consolidé et plus fiable, rendu possible par la mise en place d’outils de pilotage et de suivi des fluides, offrant une précision bien supérieure aux relevés basés uniquement sur des factures.
Cette valeur de 10 666 MWh servira de référence pour le calcul des objectifs de réduction à atteindre dans le cadre du décret tertiaire et la répartition de cette consommation est la suivante :
- 53 % d’électricité
- 23 % de gaz du réseau de chauffage urbain (RCU)
- 24 % de gaz
La consommation électrique > la consommation énergétique pour le chauffage des bâtiments…
C’est assez inattendu. La consommation électrique importante s’explique par les data centers, en d’autres termes par les serveurs contenant les données informatiques et les systèmes de refroidissement associés, très énergivores.
Ce constat questionne …
- Après une dématérialisation accrue dans toutes nos missions, va-t-on revenir au papier pour limiter la consommation des data centers ?
- Comment envisager le développement de l’IA dans ce contexte ?
- Devra-t-on limiter nos consommations électriques lorsqu’on est sur site ?
Autant de questions qui, à priori ne se posent pas. On nous dit que l’électricité est peu émissive, avec peu de conséquences sur l’émission des gaz à effet de serre, ce qui va dans le sens de la stratégie bas carbone.
Pour la CFDT, il est important de nuancer ces propos. Les objectifs de réduction de la consommation énergétique sont définis sur la base de la consommation énergétique finale, indépendamment de l’émission de CO2. En France, 65 % de l’électricité est nucléaire, le reste est produit par l’éolien, le solaire et l’hydroélectrique, seulement 7 % est produit à partir d’énergie fossile. Si les émissions de CO2 sont faibles, dans la logique de la transition écologique pour laquelle nous devons aussi être acteurs, le nucléaire présente des risques environnementaux dont il faut aussi se préoccuper, avec la production de 23 000 m3 par an de déchets nucléaires, des risques accidentels et des défis importants de rénovation et de sécurité avec des installations vieillissantes.
En raison des enjeux sur les data centers et les équipements informatiques, les équipes du SNUM participent à cette réflexion. Aucune orientation précise sur ce sujet, si ce n’est que des réflexions sont en cours pour étudier l’opportunité d’acquérir des data centers moins énergivores ou encore récupérer la chaleur produite par les data centers pour le chauffage.
Des actions déjà engagées…
Parmi les actions engagées, il y a tout d’abord toutes les actions permettant un suivi et une optimisation des consommations énergétiques : audits énergétiques, outils de pilotage, de suivi, de relevé et de mesure de la consommation des fluides (OSFI, smart impulse, OPERAT,…).
Le deuxième axe de ces actions repose sur une rénovation des bâtiments avec :
- le renforcement de l’isolation, la mise en place d’huisseries avec du double vitrage,
- l’utilisation de LED, la mise en place des mâts et éclairage équipés de détecteurs de présence,
- la réorganisation des surfaces et la mise en place du flex office.
L’administration nous indique que ces rénovations présentent le double avantage de répondre à la fois aux enjeux de la sobriété énergétique mais aussi à l’amélioration du confort des agents.
Pour la CFDT, l’amélioration du confort des agents est primordiale et les rénovations des bâtiments répondent pour partie à cet enjeu. Il subsiste tout de même de nombreuses incertitudes sur l’amélioration du confort des agents avec l’organisation des espaces de travail dans les bâtiments rénovés récemment, ainsi que dans le cas d’une éventuelle généralisation du flex office.
Une expérimentation du flex office est d’ailleurs en cours à la SDLP et la rénovation du bâtiment de Maine à destination de la DGAL intègre le flex office à l’ensemble du bâtiment (voir notre article ICI). Toutefois, nous ne disposons pas du retour d’expérience d’agents ayant pratiqué le flex office.
De là à dire que le flex office permet de faire des économies importantes sur la consommation énergétique, ce n’est pas gagné. La réduction de la consommation énergétique liée au flex office a pour origine une réduction des surfaces, la possibilité de fermer certaines parties du bâtiment où il n’y a personne et de couper le chauffage, une moindre présence des agents associée à une moindre consommation d’électricité notamment. Pour la CFDT, ces économies d’énergie ne seront pas déterminantes pour atteindre les objectifs du décret tertiaire.
Sous couvert d’une prétendue amélioration des conditions de travail, le flex office est aujourd’hui présenté comme une solution moderne et vertueuse. Il ne faudrait pas utiliser cet argument pour justifier la réorganisation des espaces de travail nécessaire pour permettre l’intégration de l’ensemble des agents de l‘administration centrale, suite à la décision de ne plus louer les locaux de Vaugirard. Cette décision ayant pour origine les restrictions de surface relatives à la politique immobilière de l’Etat et plus particulièrement la circulaire du 8 février 2023 qui vise avant tout à faire des économies sur les dépenses de l’Etat.
De même, ces rénovations vont dans le sens d’un confort des agents en hiver mais qu’en est-il du confort en été ???
La SDLP répond que des réflexions sont effectivement en cours pour améliorer le confort en été. Dans les rénovations cet objectif n’était pas inclus, ce qui est désormais le cas avec la rénovation du bâtiment de Maine. Pour les autres bâtiments, des réflexions sont en cours pour la mise en place de films sur les fenêtres mais avec l’inconvénient d’un assombrissement important de la pièce, en particulier en hiver, ou encore la mise en place de stores extérieurs quand c’est possible. En effet, lorsque le bâtiment est classé, c’est refusé.
Quels sont les scénarios pour atteindre les objectifs ?
L’administration nous a présenté les scénarios suivants :
Certaines actions prévues par ces scénarios sont déjà en cours, par exemple le remplacement des huisseries, l’isolation, la mise en place des LED,… D’autres seront peut-être mises en place comme l’isolation renforcée, toutefois cette solution aura pour conséquence une réduction des mètres carré… Les réflexions sont en cours…
Pour analyser ces scénarios, la CFDT rappelle les objectifs à atteindre et les économies à réaliser :
D’après les estimations réalisées, le pic de consommation est de 10 666 MWh, les objectifs de réduction sont par conséquent :
↘ 40 % en 2030, soit une diminution de 4266, 6 MWh
↘ 50 % en 2040, soit une diminution de 5333 MWh
↘ 60 % en 2050, soit une diminution de 6400 MWh
Si l’administration centrale met en œuvre :
– le scénario 1, l’économie sera de 1019 MWh, avec une dépense de 10 millions d’euros ;
– le scénario 2, l’économie sera de 2575 MWh, avec une dépense de 18,6 millions d’euros.
Et ce, avec un temps de retour sur investissement long, en moyenne de 30 ans.
Même avec le scénario 2, nous restons très éloignés de l’objectif avec un coût non négligeable… Il est à noter que ce tableau avec les scénarios ne fait pas apparaître Vaugirard qui est pourtant inclus dans les estimations de consommation. D’autant qu’avec la rénovation de Maine, tous les moyens sont mis en œuvre pour réduire la consommation énergétique. Il a d’ailleurs été obtenu que ce bâtiment puisse être raccordé au réseau de chauffage urbain.
Malgré ces éléments, nous faisons le constat que, même si le scénario 2 est retenu, l’administration centrale ne sera pas en capacité atteindre l’objectif de 2030.
Il reste à voir de quels moyens disposera le ministère et à déterminer l’opportunité de dépenser ces moyens dans les travaux à destination de la réduction de la consommation énergétique, avec des temps de retour sur investissement qui sont assez longs.
La déclinaison actuelle des scénarios en objectif opérationnel
Pour la période de 2025 à 2030, nous restons dans la continuité des projets de rénovation des bâtiments en cours. C’est à partir de 2030 que l’on voit apparaître une ligne rationalisation des usages par l’optimisation des surfaces.
Pour la CFDT, il faut rester vigilant et prudent face à ce que nous proposera l’administration sur ce sujet et une éventuelle généralisation du flex office. Ce dossier sera suivi avec attention par la CFDT afin que les choix retenus soient cohérents avec les priorités de l’administration centrale et contribuent non seulement à la réduction de la consommation énergétique, mais avant tout à l’amélioration du confort des agents, de la qualité de vie au travail et de la performance collective. Ces orientations devront être prises dans un esprit de concertation avec les agents et les organisations syndicales.

